Rond-PointAccueilHistoireL'affrontement Lesage-Johnson (1962)


| Sommaire | Page suivante |

LESAGE – le gaz naturel

J'ai été accusateur, justement de 1958 à '60, parce que des députés et des ministres de l'Union nationale, qui étaient chargés de l'administration d'un bien public, d'un bien appartenant à tous les citoyens de la province, ont vendu à une corporation ce bien public qu'ils étaient chargés d'administrer et en même temps ont acheté des unités de la compagnie à qui la vente était faite. Il se sont donc vendu à eux-mêmes et à leur profit.

(M. Johnson reprend la parole; il n'est entendu que dans le studio.)

Charette : Je m'excuse, M. Johnson.

Jean Lesage : D'ailleurs, comment peut-on douter de l'impartialité du juge Salvas, de M. Ross et M. Guérard, qui ont rendu le jugement en cette affaire quand, le 7 juin '61, le principal procureur de l'Union nationale devant la Commission, M. Édouard Masson, conseiller législatif de l'Union nationale a dit textuellement : " J'atteste de l'impartialité et de la compétence des juges et commissaires. " Or, qu'est-ce que disent les commissaires et je me fie à eux, ils disent bien que M. Daniel Johnson a acheté 150 unités, soit la valeur de 21,000 dollars à 140 dollars l'unité, 100 chez Forget...

(M. Johnson interrompt, en faisant une remarque que l'on n'entend pas.)

Charette : M. Johnson - Je m'excuse, M. Lesage. M. Johnson, vous avez accepté de vous conformer à la procédure, les échanges...

Johnson : Non pas de laisser répéter des faussetés; j'ai donné ma parole...

Charette : M. Johnson, je vous rappelle à l'ordre, s'il vous plaît.

Jean Lesage (reprenant son exposé) : Je me fie sur le rapport Salvas et c'est l'avocat en chef de l'Union nationale qui a dit se fier entièrement...

(M. Johnson essaye d'interrompre M. Lesage, mais ses remarques sont inaudibles.)

Charette : Non, M. Johnson, je suis au regret.

Jean Lesage : C'était le 7 juin 1961. Au cours de l'enquête sur le gaz, il se fiait entièrement à l'impartialité et à la compétence, et M. Johnson a acheté 100 unités chez Forget et Forget, ça apparaît au rapport, et 50 chez René T. Leclerc. Et d'ailleurs, à la page 98 du rapport, les commissaires disent bien que le profit fait par les acheteurs sur chaque unité a été de 35 dollars. Et le rapport ajoute : " Il importe peu que ces profits aient été encaissés si les acheteurs, ayant l'intention de revendre leurs unités, ne les ont pas revendues immédiatement, il est normal de présumer que c'était en vue d'encaisser un bénéfice plus élevé. " Alors, 150 unités à 35 dollars l'unité, ça fait un profit immédiat de 5,250 dollars pour le chef de l'opposition. Et le rapport continue : " Les ministres, députés et conseillers législatifs qui ont acheté des unités de la Corporation de Gaz naturel de Québec ont réalisé un bénéfice personnel sur la vente d'un bien public. " C'était ça que j'avais dit avant l'élection.

Et ensuite, les Commissaires continuent, à la page 100 : " les commissaires condamnent nettement et sévèrement l'achat d'unités de la Corporation de Gaz naturel du Québec par des ministres, députés et conseillers législatifs; c'est là un fait que réprouve la morale " -- remarquez bien - " c'est la un fait que réprouvent la morale et l'ordre public. " Or, lors de la conférence de presse qu'il a donnée, le chef de l'opposition, le 30 octobre, en réponse à une question de M. Sauriol, a dit textuellement ceci, j'ai le transcript devant moi : " M. Salvas a trouvé qu'il n'y avait rien d'immoral ". Or, le juge Salvas a dit : " c'est là un fait que réprouve la morale et l'ordre public".

Rien de tellement répréhensible là-dedans, d'acheter des actions sur le marché, très bien; rien de répréhensible à acheter des actions sur le marché, mais à condition que ce ne soit pour acheter personnellement un bien que l'on est chargé d'administrer comme homme public.

On tente de mêler à cela l'affaire de la Trans-Canada Pipeline. On jette des noms d'hommes qui n'étaient pas des législateurs, qui étaient en dehors de l'Assemblée législative et du Conseil législatif. Mais voici, j'ai devant moi le mémoire de l'opposition, de son chef et de ses membres. Mémoire présenté à la Commission royale d'enquête par Me Édouard Masson, avocat en chef de l'Union nationale.

Et il disait ceci : les promoteurs financiers, ingénieurs, avocats, etc. qui ont conçu, entrepris et réalisé en si peu de temps la construction d'un pipeline de plusieurs milliers de milles à travers le pays, ont accompli une tâche gigantesque qui fait honneur à leur compétence et à l'entreprise privée. Ils ont consacré à leur œuvre leur énergie, leur compétence et leur talent.

C'est l'Union nationale qui parle, c'est le chef de l'Union nationale qui parle.

Johnson : Oh, non...

Lesage : Le titre est : " Mémoire de l'opposition, de son chef et de ses membres ", présenté par Me Édouard Masson et qui était le représentant de cette opposition, et je continue : " Ils ont agi légalement, honnêtement et consciencieusement. Ils n'ont rien caché, tout s'est fait au grand jour. "

La Trans-Canada Pipeline est, comme disent les Anglais, un " red herring " que l'Union nationale a essayé de lancer pour atténuer les effets, dans le public, du scandale de ce qu'on a appelé le scandale du Gaz naturel. Et je ne crois pas que vous, Monsieur, ou vous, Madame, qui m'écoutez, vous soyez disposés à confier l'administration de la chose publique à un groupe d'hommes qui, dans le passé, a prouvé qu'il avait, au moins en une circonstance, administré notre bien à tous, votre bien à vous, en le vendant à leur profit personnel. Que penseriez-vous d'un intendant qui ferait la même chose pour son principal ? Nous ne pouvons pas avoir confiance. Nous ne pouvons pas avoir confiance, le purgatoire n'a pas enduré... n'a pas duré assez longtemps. C'est le feu de l'enfer qu'il faut pour purifier l'Union nationale.


Page d'accueil    Commentaires  Haut  Page suivante