L'affrontement Lesage-Johnson (1962)
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Annonceur (JEAN-PAUL NOLET) :
Pour une première fois dans l'histoire de la télévision canadienne, les chefs de partis politiques engagés dans une lutte électorale ont accepté de venir, en présence l'un de l'autre, exposer au public leurs politiques respectives.
C'est à titre de service public à l'électorat québécois que Radio-Canada présente ce soir ce débat télévisé sur ses réseaux français de radio et de télévision et sur une chaîne radiophonique de stations anglaises.
Les sujets à discuter durant cette émission, la structure de cette émission et les règles qui président à son déroulement, ont été établis par les représentants du parti libéral du Québec et ceux du parti de l'Union nationale, au cours de réunions tenues en présence de représentants de Radio-Canada.
Les débattants auront à leur disposition une période de sept minutes chacun pour traiter chaque sujet; ainsi en sera-t-il pour les quatre sujets, soit la nationalisation, le gaz naturel et la Trans-Canada Pipeline, le programme des partis, l'administration libérale depuis 1960.
À la suite de chacune de ces périodes de quatorze minutes, les journalistes sont invités à poser des questions aux débattants durant des périodes de six minutes chacune. Les représentants des deux partis politiques ont convenu d'accepter, pour participer à cette émission, les journalistes que Radio-Canada avait choisis pour interroger MM. Johnson et Lesage lors des deux conférences de presse qu'ils avaient accordées au réseau français à la télévision de la société, le 30 octobre et le 6 novembre dernier, soit MM. Paul Sauriol, du journal " Le Devoir ", Gérard Pelletier, du journal LA PRESSE, Bill Bantey, du journal " The Gazette ", Jean V. Dufresne du " Magazine MacLean ", Lucien Langlois et Clément Brown du journal " Montréal-Matin ".
Après que les quatre sujets auront été traités, les deux chefs politiques auront chacun une période de cinq minutes pour résumer leurs positions respectives sur toutes questions pertinentes au présent débat.
Le modérateur de l'émission, Raymond Charette, a été le choix unanime des représentants des deux partis politiques et des représentants de Radio-Canada. M. Charette explicite davantage la procédure qui a été arrêtée pour les fins de cette émission.
M. Raymond Charette (modérateur) : Bonsoir, Mesdames, Mesdemoiselles. Bonsoir Messieurs.
Voici, si je ne m'abuse, un débat qui était quelque peu attendu et je crois pouvoir vous dire maintenant, avec certitude qu'il aura lieu.
Eh bien ! afin que ce débat se déroule de la façon la plus équitable possible, les deux partis sont convenus d'une procédure dont l'essentiel vient de vous être communiqué. Je ne vais pas revenir là-dessus, sauf pour indiquer ceci. Messieurs Johnson et Lesage se sont entendus pour aborder ce soir quatre sujets. Ils se sont engagés, par la bouche de leurs représentants, à respecter cet ordre du jour. Nous ne nous reconnaîtrions pas la compétence de rappeler les débattants à l'ordre s'ils allaient s'écarter de ces sujets convenus comme de leur traitement. Cela nous entraînerait à poser des jugements de valeur et il ne nous appartient pas de le faire.
Nous allons donc nous en remettre à la bonne volonté des débattants pour qu'ils se maintiennent à l'intérieur des limites qu'ils ont eux-mêmes acceptées. S'ils s'en éloignent, c'est au public qu'il appartiendra de juger.
On nous obligera cependant à intervenir si les deux débattants et les journalistes engagent le dialogue entre eux. Cela, la procédure le leur interdit d'une façon formelle. D'autre part, comme le facteur temps est un élément vital dans ce débat, nous insisterons pour que tous les participants, dès maintenant, et les journalistes respectent strictement la durée prévue de leurs interventions. Et d'ailleurs, vous verrez au cours de l'émission un cadran témoin qui apparaîtra au bas de votre écran, de sorte que vous pourrez suivre le minutage avec nous.
Je voudrais maintenant demander à messieurs Johnson et Lesage s'ils souscrivent à ce qui vient d'être dit. M. Johnson ?
M. Daniel Johnson : M. Charette, j'aurais évidemment préféré une formule plus vivante, un débat direct, mais puisque ça m'a été refusé, j'accepte volontiers et je ferai tout en mon possible pour suivre les règlements, comme d'ailleurs en Chambre.
Charette : M. Lesage ?
M. Jean Lesage - Je dois vous dire que je n'ai rien refusé à personne ; que j'étais prêt à la forme de débat qui serait réglé suivant une entente entre les partis et M. Charette, je souscris complètement aux règlements que vous venez d'énoncer et je vous considère comme le maître du débat.
Charette - Je vous remercie beaucoup, M. Lesage. Je vous remercie, Messieurs, je pense que ça rendra ma tâche un peu plus facile.
Il faut vous dire que les places qu'occupent Messieurs Johnson et Lesage, de même que celles qu'occupent les journalistes, ont été tirées au sort et nous procéderons de la même façon pour déterminer au début et à la fin de l'émission qui, de M. Johnson ou de M. Lesage aura la faculté de choisir de parler en premier ou en second.
Vendredi dernier, en mon absence, mais devant des représentants des deux partis, on a déposé dans chacune de ces deux boites deux tubes identiques portant les noms de MM. Lesage et Johnson. Ces boites ont été scellées et on les a consignées à la voûte de Radio-Canada.
Il y a quelques instants, les représentants des deux partis ont vérifié les scellés; on me les a remises, je vais maintenant les ouvrir... je retirerai un tube... il s'y trouvera un bulletin et celui dont le nom apparaîtra aura le droit de choisir le moment de son intervention.
Je crois que c'est un moment solennel (il ouvre la boite)... comme vous voyez, j'ai pas pratiqué (il parvient à extraire le tube et montre au public le nom qui s'y trouvait). C'est M. Jean Lesage qui aura la faculté de choisir le moment de son intervention. Mais comme on n'est jamais trop prudent, on va vérifier, sortir l'autre tube, et voir si vraiment le nom de M. Johnson y apparaît (il s'exécute et au bout d'un moment montre le nom de M. Johnson au public).
Je pense que maintenant on est prêt à procéder.
Le premier sujet dont il sera question ce soir est celui de la nationalisation. Les deux partis sont convenus de ne pas restreindre ce sujet de la nationalisation à l'électricité seulement. Il pourra être question du principe de la nationalisation, de la nationalisation envisagée comme politique, et de l'application d'une telle politique, laquelle peut s'étendre à d'autre secteurs de l'activité économique que celui de l'électricité. M. Lesage, je ne vous ai pas demandé si vous alliez parler en premier ou en second, je le fais maintenant.
Lesage - Je crois que je vais parler en premier, M. Charette.
Charette - M. Lesage, la parole est à vous pour les sept prochaines minutes.