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Esprit, politique et histoire
Si les auteurs du rapport Inchauspé avaient au moins lu de Paul Valéry cette « Lettre sur la Société des Esprits » [21] , peut-être qu'ils n'auraient pas eu besoin de courir après leur esprit ! Dans un premier temps, j'avais pensé résumer l'argumentaire de ce rapport sur « la question de l'histoire nationale » [22] ; après réflexions, je ne parvenais pas très bien à saisir leur pensée ; finalement, les propos me sont parus tellement inconsistants que j'ai préféré me retourner vers mon fidèle ami Paul Valéry qui, lorsque je manque moi-même d'esprit (!), me stimule et me réconforte.
J'aimerais évoquer un texte particulier de Valéry. Il remonte à 1933. Il a été publié par l'Institut International de Coopération Intellectuelle sous l'égide de la Société des Nations. Valéry veut montrer à quel point l'esprit peut travailler dans l'histoire et sur la politique. Il écrit : « J'entends ici par « Esprit » une certaine puissance de transformation qui intervient [...] pour résoudre, ou tenter de résoudre, tous les problèmes [...] ». Il complète en ajoutant ce qui suit : « Il est donc naturel, en présence du désordre généralisé, de l'insuffisance des expédients connus, de la nouveauté de situations auxquelles rien ne ressemble dans l'histoire, de recourir à cette puissance de l'esprit, plus énergiquement, plus rigoureusement sollicitée, et de postuler ceci : que si nous avions plus d'esprit, et si nous donnions à l'esprit plus de place et plus de pouvoir véritable dans les choses de ce monde, ce monde aurait plus de chances de se rétablir, et plus promptement. [23]»
Valéry ne présentait pas cette idée d'un point de vue pédagogique mais il ne serait pas inutile d'en tirer une leçon pour nous dans l'enseignement. À notre avis, cette promesse de l'esprit pourrait se développer à son meilleur si l'on tenait plus compte de la dimension IV de l'acte pédagogique, à savoir du développement des mécanismes intellectuels et cognitifs, soit de tout ce pan de la psychologie de l'intelligence et des processus de maturation psycho-génétique [24]. La formation du futur citoyen, s'il en est une valable, ne devrait pas emprunter la voie du comportement mais celle du raisonnement. Des professeurs d'histoire et de géographie ont reconnu qu' « il faudrait "rendre la parole à l'élève" pour qu'il puisse s'exercer à construire méthodiquement des argumentaires. [25] » Cette formation est bien loin de l'encyclopédisme ou d'un pédocentrisme du laisser-faire. L'élève du secondaire ressent le monde et l'interprète à sa façon selon ses expériences et ses connaissances personnelles. Pas moins qu'un autre esprit aussi universel que celui de Valéry, l'élève se sent dans un certain état de désarroi devant ce monde. Peut-être pourrait-il écrire lui aussi, comme Valéry, ce qui suit : « Nous nous sentons aveugles et impuissants, tout armés de connaissances et embarrassés d'immenses moyens, dans un monde que nous avons entièrement exploré, circonscrit, organisé, et nous ne savons accommoder à ce nouveau monde nos sentiments ni nos pensées. [26]»
- In Paul Valéry, Oeuvres I, Paris, Gallimard, 1957, p. 1138-1150 et les « Notes » aux p. 1774-1775 (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »). Voir aussi son autre texte du 16 novembre 1932, « La politique de l'esprit. Notre souverain bien. » In Ibid., p. 1014-1040
- Je vous invite à lire les pages 34-35 de ce rapport ainsi que les Annexes 4 et 5. Cf. supra note 3.
- Oeuvres I, Paris, Gallimard, 1957, p. 1138-39 (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »).
- Supra note 12.
- Journées disciplinaires d'histoire et de géographie à Strasbourg, les 24 et 24 mars 1998 (rapport de synthèse). Cf. l'adresse Internet http://www.cndp.fr/colloquelycee/histgeo.htm. La lecture de ce rapport de synthèse montre l'ampleur des difficultés que soulève tout enseignement qui se voudrait utile, éducatif et formateur. On peut y lire ceci : « La citoyenneté européenne ne va pas de soi. Dans les 100 000 questionnaires lycéens de l'Académie de Versailles par exemple, « le mot Europe n'apparaît ni en positif ni en négatif ». Signe de méconnaissance ou de banalisation de la réalité européenne ? Quelle que puisse être la réponse, aucune n'est propre à satisfaire. »
- Oeuvres I, Paris, Gallimard, 1957, p. 1144 (coll. « Bibliothèque de la Pléiade »).