1975 «Le Soleil du pouvoir.» Par Pierre Vadeboncoeur (avocat, syndicaliste et écrivain).  « Nous avons un côté de péroreurs invétérés.»   Peut-être, en 2015, un avertissement pour tous les candidats(es) inscrits dans la course à la chefferie du Parti québécois.

Il y a trente-neuf ans !

 Dans le Cahier 3 du quotidien Le Jour, 24 décembre 1975, titré «Maintenant L’indépendance Bientôt!», Pierre Vadeboncoeur[1] fut chargé de la page éditoriale[2]. Revoyons brièvement le contexte historique. Depuis 1975, maintenant, nous savons ce qui s’est passé[3].  Deux mandats de gouvernement sous René Lévesque (1976-1985) et un référendum; vient l’intermède de Pierre-Marc Johnson[4] et le retour au pouvoir de Robert Bourassa (1985-1994); Daniel Johnson, fils, lui succède mais c’est Jacques Parizeau qui reprend le pouvoir, en 1994. Un second référendum est suivi d’un échec. Parizeau démissionne; Lucien Bouchard le remplace (1996-2001); ce dernier démissionne et il est remplacé par le court gouvernement de Bernard Landry (2001-2003); à son tour Landry démissionne, en 2005, puis se succèdent Louise Harel (par intérim), André Boisclair (2005-2007), François Gendron (par intérim), puis Pauline Marois, en 2007 à la barre du PQ. Cependant, en 2003, Jean Charest reprend le pouvoir pour le parti libéral du Québec jusqu’en 2012.

En cours de route, un scandale majeur éclate au grand jour au sujet de la corruption dans les contrats de construction des travaux publics au Québec. Devant les pressions de l’opinion publique, le gouvernement Charest doit créer finalement une commission d’enquête : la Commission Charbonneau. Les péquistes, avec la cheffe du Parti québécois Pauline Marois, reprennent le pouvoir mais Madame Marois ne dirigera qu’un gouvernement minoritaire entre 2012 et 2014. Le Parti Libéral passe dans l’Opposition et Jean Charest est défait dans sa circonscription électorale de Sherbrooke.

Se montrant insatisfaite de diriger un gouvernement minoritaire, la première ministre déclenche des élections générales pour le 7 avril 2014. Son gouvernement perd à l’élection générale et elle se retrouve battue dans son comté de Charlevoix. C’est la reprise du pouvoir par le parti libéral avec un gouvernement majoritaire dirigé par le Dr Philippe Couillard, ex-ministre libéral de la santé dans le gouvernement de Jean Charest.

Donc, au sujet de ces quelque quarante années, peut-on s’interroger sérieusement sur le pouvoir politique en ce qui concerne le Parti québécois ?  Sur leur défaite, les péquistes doivent chercher des explications.  Ils ont l’étoffe pour le faire, cependant ils ont un grand besoin de direction.  Ce besoin se présente sous deux aspects : une direction politique et une direction nationale. Il leur faudrait deux équipes qui devraient apprendre à travailler ensemble. Car seule l’action gouvernementale sur le terrain est insuffisante pour élaborer et soutenir fermement une vision nationaliste complète et, au surplus, indépendantiste crédible auprès des Québécois. Une politique publique nationale (outre les politiques publiques sociales nécessaires aux besoins socio-économiques) devrait être mise au point avec rigueur.  Pour cela, il leur faut plus que des programmes politiques de gouvernement provincial. «Il faut donc, se demande déjà Vadeboncoeur, en 1975, considérer aussi le pouvoir comme une étape de la prise de conscience et non comme le pur aboutissement de celle-ci.» Pierre Vadeboncoeur aborde donc notre rapport à l’indépendance comme collectivité nationale.  Il y voit des lacunes importantes dans notre regard collectif de considérer le pouvoir.   Entre autres, il écrit :

«Les Québécois n’ont jamais été les maîtres et ne sont jamais représentés eux-mêmes comme des détenteurs de la force mais seulement du droit, ce qui est faible.»

Cette remarque ne devrait pas être prise à la légère; elle est autant d’actualité de nos jours qu’elle l’était il y a 39 ans.  «Un peuple, enfin ! ne se récuserait plus!»  À l’approche de 2015, c’est toujours le même défi. Cet éditorial est à lire avec soin.

«Le soleil du pouvoir.» [5]

 «Nous avons un côté de péroreurs invétérés. Le nationalisme a pu exister chez nous pendant cent ans sans vraiment chercher le pouvoir. C’est depuis peu qu’il le veut.  Et pourtant nous étions dans une situation où le national était en cause.  […]  Nous nous occupons davantage de dire que de vouloir et de faire. […]  Nous avons peut-être des yeux pour voir, mais nous n’en avons pas pour vouloir. » (Dans Le Jour, 24-12-1975, Cahier 3: «Maintenant L’indépendance Bientôt!», Éditorial, p. 12.)

 EXTRAIT

Quand il s'agit de pouvoir, nous nous entêtons mal. Les lieux où l'on sent actuellement des défaillances sont des lieux où l'on s'est entêté pendant seulement cinq ans, ce qui est très ridicule. Ce sont avant tout des lieux où l'on pérore beaucoup.

[…]

Le PQ nous met au pied du mur.  Soyons convaincus que des choses changent, actuellement. Ce parti, maintenant robuste et qui s’appuie sur une base particulièrement populeuse et solide, nous pousse et nous oblige.  Son projet suppose le pouvoir et nous ne pouvons plus rester dans nos habitudes velléitaires.  Le PQ nous change donc en effet.  Il nous braque forcément vers le pouvoir.  Toute une époque bascule peu à peu derrière lui, dans un passé révolu.  Il soutient de toute sa masse une difficile conversion à l’esprit du pouvoir.

L’équivoque entre les dirigeants du PQ et certaines factions dans les rangs du parti tient peut-être à ceci que les premiers opèrent une certaine radicalisation de la volonté de pouvoir.  Cette radicalisation exprimée est une surprise, et elle force les mentalités : et certaines gens, habitués à discourir et toujours flottants comme nous l’avons été, toujours résolus principalement à dire et à distinguer, véritables handicapés d’une histoire idéaliste et passive, n’arrivent pas à saisir les lois brutes et rigoureuses de la politique. Leurs interprétations sont donc tout de travers : ils parlent avec mépris d’«électoralisme», ils ne comprennent rien aux raccourcis comme aux détours nécessaires, ni en général aux règles d’un jeu serré mais impitoyablement réel; ils comprennent encore moins la hâte de gouverner, qui ne fait pourtant que traduire une vue directe sur la politique et sur les grands moyens d’un combat. Il est temps que nous ayons ce regard, qui nous avancerait d’une bonne longueur vers la saisie du réel.  C’est ce regard de la volonté. Celui-ci ne nous est pas commun, ni habituel. Nous avons peut-être des yeux pour voir, mais nous n’en avons pas pour vouloir.

[…]

Les Québécois n’ont jamais été les maîtres et ne sont jamais représentés eux-mêmes comme des détenteurs de la force mais seulement du droit, ce qui est faible. On conçoit que le PQ ne réussisse pas du jour au lendemain la tâche de nous rendre à l’existence politique : mais il nous persuade que n’ayant jamais eu le pouvoir nous n’avions rien, et que n’ayant jamais travaillé obstinément à le prendre nous n’arriverions à rien.

[….]

Que le PQ finisse par faire de ce peuple consommateur de politique un peuple producteur de politique, ce progrès serait radical et ouvrirait également à gauche des perspectives dont elle est bien dépourvue jusqu’ici; le RCM[6], d’ailleurs, les a dégagées quelque peu pour sa part, dans la foulée des mouvements populaires mais aussi au PQ.

Il y a autre chose.  Les grandes consciences peuvent-elles pour une minute consentir à voir que la volonté de pouvoir et le pouvoir s’imposent

[…].

Ajoutons que le pouvoir est nécessaire non seulement pour résoudre les questions mais pour les poser aussi, pour les poser vraiment, pour les amener à maturité dans le champ du concret […].  Il faut donc considérer aussi le pouvoir comme une étape de la prise de conscience et non comme le pur aboutissement de celle-ci.

[…]

L’accession au pouvoir, cette fois, aurait chance d’être un bond. Cent ans de complaisance finiraient là, peut-être.  Un peuple, enfin ! ne se récuserait plus!

 NOTES

[1] Par Paul-Émile Roy. http://agora.qc.ca/dossiers/Pierre_Vadeboncoeur

[2] Neuf autres auteurs ont collaboré à la publication d’un texte sur la question de l’indépendance du Québec. Le document le plus important a été celui de Pierre Harvey, économiste et professeur aux HEC. VOIR : http://www.rond-point.qc.ca/blog/media/pdf/Harvey_Pierre.Maintenant%201975-12-24-ver-Vigile.pdf

[3] Liste des Premiers ministres du Québec depuis 1897. http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/liste.jsp?titreListe=59

[4] Liste des chefs du Parti québécois depuis 1968.  http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/liste.jsp?titreListe=12

[5] «Maintenant L’indépendance Bientôt!» dans le quotidien souverainiste Le Jour, 24-12-1975, Cahier 3: p. 12.

[6] Le Rassemblement des citoyens de Montréal (RCM). Fondé en 1974. Prend le pouvoir entre 1986-1994 et disparaît en 2001. Le Président fondateur fut Jean Doré, maire de Montréal et défenseur de la démocratie municipale.

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Texte intégral Facsimilé sur deux pages (haut de page et bas de page).

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