Présentation des concepts

MISE EN GARDE

Si l’histoire consiste à étudier la vie des morts pour servir à la vie des vivants, elle a une fonction sociale importante qui exige des conditions particulières pour le travail de l’historien.

Le travail historique est exigeant.  L’historien a des responsabilités considérables face au monde dans lequel il vit. Il y a différents genres d’histoire. Celle dont il sera question ici concerne les structures des grands phénomènes sociaux et primordiaux qui façonnent les sociétés et partant les individus. Les événements vécus sont importants et les effets inévitables, car la société elle-même est fortement déterminée.  Les redressements de situation sont tributaires de forces latentes qui existaient pour justifier ces changements. Mais pour des transformations radicales, c’est plutôt la lente maturation qui est la règle générale.

Une déontologie de l’action

Le texte associé à cette mise en garde au sujet de l’indépendante nationale du Québec pourrait être considéré comme une déontologie de l’action collective et du jugement pratique quand il s’agit d’une situation concrète avec ses tenants et aboutissants. «Il ne faut pas craindre d’affirmer, soutient Maurice Séguin dans Les Normes, que l’élite d’une collectivité se doit de savoir l’entière vérité, l’exacte situation, sans ménagement, sans emphase, sans sous-entendu trompeur.»

Pour l’action (dans un avenir plus ou moins immédiat), que faudrait-il faire ?

D’abord, il ne faut pas se mentir à soi-même.

Par ailleurs, pour l’homme d’action, il ne doit pas refuser de voir clair et se mettre dans l’impossibilité de comprendre d’une manière réaliste la situation actuelle.  D’où la règle suivante pour mieux servir la vérité avec objectivité et sincérité.

«Si entretenir des illusions, taire des difficultés, escamoter des déficiences peuvent paraître faciliter l’action immédiate, à longue échéance la vérité même pénible se révélera plus profitable aux hommes d’action, pour élaborer la stratégie globale et organiser les forces de la collectivité.»

 Autrement dit, il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Concrètement, cela signifie que la constitution, les élections, le référendum, le mode de scrutin, etc. sont accessoires à l’objectif qui consiste à obtenir une majorité favorable de la population qui appuiera la politique publique nationale, mise en œuvre en vue de réaliser l’indépendance politique du Québec. Il reviendra à l’équipe indépendantiste d’agir comme catalyseur des forces indépendantistes  -- non seulement entre les partis politiques mais ouvertement avec les individus et les divers milieux de la société civile.

L’obligation du Parti québécois

Le Parti québécois doit donc relever un défi colossal qu’aucun autre parti politique au Québec et au Canada n’a eu besoin de planifier.  Il doit réparer une situation historique qui prive le Québec de l’indépendance nationale complète.  Il doit savoir anticiper les transformations qu’il veut obtenir.  Son message a besoin d’’être univoque, car les écueils sont nombreux.

Cette déontologie de l’action est incontournable sans quoi le risque est grand d’aggraver la situation et d’accroître les dangers de démission chez la masse, en préparant un dur et tardif réveil.  La majorité silencieuse doit être conviée au banquet.  L'équipe politique indépendantiste ne doit pas négliger de comprendre les citoyennes et les citoyens et de les éclairer avec un message cohérent et stimulant.  Les individus et la société ont besoin d'une explication historique solide.

«Tout citoyen, dans l'appréciation des événements quotidiens, se rapporte nécessairement à une conception générale de la situation politique, économique, culturelle ou sociale du milieu où il vit. Obligé de se prononcer fréquemment sur ces questions fondamentales, il ne saurait éviter de recourir à une explication historique. De sorte que la haute histoire des phénomènes primordiaux est en définitive, pour ceux qui ne sont pas des professionnels de l'histoire, la seule histoire importante et irremplaçable. »

Par « haute histoire des phénomènes primordiaux», Séguin entend une vision de la société et du monde sur laquelle repose la manière de réagir du citoyen aujourd'hui et demain. La lutte entre les indépendantistes et les fédéralistes fondent et refondent sans cesse tout notre présent de Québécois, d’Anglo-Québécois, de Canadiens au Québec et hors-Québec et de Canadians from coast to coast, et l'image que nous en avons du Québec et du Canada détermine encore notre présent. Cette image sans cesse changeante est le présent du passé et même son avenir, l'avenir en quelque sorte.

Pour compléter cette vision, dans le Chapitre troisième qui traite de la Sociologie du national, Maurice Séguin nous fait remarquer que «la société dominée et annexée» subit des torts et que le fait, par exemple d’être «mal» gouverné ou mal «exploité», que cette nation ″n'a qu'un droit «éloigné»... à l'indépendance.  Finalement, une nation a le «droit» que lui confère sa «force» ″.  Maurice Séguin dixit :

« On ne saurait soutenir qu'une nationalité dominée et annexée politiquement, économiquement ne subit aucun tort. On ne saurait soutenir non plus qu'être «bien» gouverné par une autre nation ou bien «exploité» économiquement par une nation plus riche ne comporte aucuns inconvénients. Et on ne saurait soutenir qu'il faut être «mal» gouverné ou mal exploité pour éprouver des dommages et avoir le droit de songer à se libérer. On ne peut prétendre qu'une nation annexée ou colonisée n'a qu'un droit «éloigné»... à l'indépendance. [...] C’est avant tout une question de force plutôt qu’une question de justice. Une nation a le «droit» que lui confère sa «force»... »

Nous sommes au cœur même du problème prioritaire à résoudre par la nation annexée, car il s’agit de l’agir (par soi) collectif qui est l’une des normes principales pour décrire l’histoire politique des deux Canadas. Pour la nation minoritaire, la nature de l'oppression essentielle est : LE REMPLACEMENT DE L'AGIR (PAR SOI) COLLECTIF PAR UN AUTRE, SOIT LA PERTE DU SELF-GOVERNMENT COMPLET.

Le REMPLACEMENT de l’agir (par soi) collectif est le fléau de la nation annexée.

DONC, dans l'optique indépendantiste, il est clair que :

«La nation minoritaire est en grande partie désorganisée et subordonnée,

par la présence de la nation majoritaire,

politiquement, économiquement et culturellement.»

NOTE

Consulter infra les hyperliens qui font suite à cette proposition d’une déontologie de l’action collective et du jugement pratique dans la perspective d’une pratique d’intervention humaine dans les changements de la courbe historique d’une nation.

  1. Le réparable et l'irréparable. Position pour «ne pas se mettre dans l’impossibilité de comprendre d’une manière réaliste la situation actuelle». Extrait de l’Introduction dans l’ouvrage Les Normes (1965-1966). http://www.rond-point.qc.ca/rond-point/histoire/rond-point-histoire-16/
  2. Histoire de deux nationalismes au Canada. Avertissement quant à la compréhension des deux nationalismes.
  3. Maurice Séguin. Analyse du cheminement intellectuelle de sa pensée qui a alimenté la rédaction de l’ouvrage Les Normes (1965-1966) et, entre autres, l’Histoire de deux nationalismes au Canada. (Site Wikipédia)