Maurice Séguin, la société québécoise et l'avenir du Québec
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Maurice Séguin, la société québécoise
et l'avenir du Québec
Assimilation ou annexion ?
Enfin ! le mot est lâché : l'assimilation. Ce vilain mot qu'on bannit plutôt qu'on ne l'étudie, fait mal. On cherche à le remplacer par toutes sortes de mots ou d'expressions[8] , comme la « bonne entente », le biculturalisme, le bilinguisme, le multiculturalisme, la pluriethnicité, l'interculturalisme, la culture plurielle, la politique d'intégration, le partenariat et encore...
Pour sa part, Maurice Séguin a abordé directement la question dans Les Normes (cf. 3,11). Sa courte synthèse de la question mérite une attention spéciale mais elle doit être mise en relation étroite avec le Chapitre premier des Normes, qui traite de « l'homme et de la société en général », soit de « vie et conditions de vie ». Dès le Chapitre premier, Séguin décrit théoriquement le processus d'assimilation. Pour lui, l'inconvénient fondamental tient au fait de l' « oppression essentielle », c'est-à-dire de la privation ou de la diminution de l'agir-par-soi collectif qui provoque ou l'inaction « volontaire » ou l'inaction « imposée »[9]. En d'autres termes, « il ne saurait exister de substitution permanente pour le mieux, tant que survit la collectivité remplacée que l'assimilation n'est pas totale » (cf. Les Normes, 1,2,3,11). Séguin explique que « si chaque groupe ethnique avait « respecté » son voisin (selon la morale et le droit), l'humanité serait composée d'une mosaïque de clans, de tribus et de villages souverains et peu évolué... (cf. Ibid., 3,11,12) » Il faut surtout voir que « la cause de l'assimilation est l'annexion prolongée... (Ibid., 3,11,7) ». Ce qui nous renvoie aux « types ou degrés d'annexion politique » que peuvent subir des nationalités qui seraient soit dispersées ou groupées, soit minoritaires ou majoritaires, soit dotées d'une organisation politique locale ou formant une majorité dans une région, mais sans organisation politique locale. Toutes ces nuances - et bien d'autres encore - montrent à quel point il n'est pas facile de parler d'assimilation.
D'après Séguin, « il vaut mieux parler d'annexion plus ou moins forte, d'annexion totale ou partielle, mais non d'assimilation » (Ibid., 3,11,4). Pourquoi ? Parce que « même avec une très forte annexion politique, économique, et culturelle, le sentiment d'être distinct peut perdurer et servir de point de départ à une montée nationaliste plus ou moins complète... (Ibid., 3,11,5) » Il complète sa pensée en ces termes : « L'assimilation est l'oeuvre du temps et des circonstances... il est très facile d'annexer des nationalités, il est beaucoup plus difficile d'aboutir à l'assimilation totale, il reste dans les régions ou provinces des vieilles nations souveraines, des traces de nationalités régionales non complètement digérées. (cf. Ibid., , 3,11,8) [10]»
[TRANSPARENT no. 7]
« Affirmer la nécessité d'un juste équilibre [de la vie en société], c'est facile en théorie, écrit Maurice Séguin. Mais en pratique, jusqu'où faut-il aller dans un sens ou dans l'autre ? Où se trouve le juste milieu ? Ou plus exactement le compromis qui ne comporte pas trop de sacrifices ? (cf. Ibid., 1,4,2,4) » Par rapport aux divisions et aux luttes dans la société québécoise ainsi que dans toutes les sociétés, Séguin s'est demandé : « Peut-on savoir pourquoi les hommes se réunissent ou se séparent, se cloisonnent à la fois et recherchent l'union ou même l'unité ? (Cf. Ibid., 3,1) » Il constate qu' « au sein d'une nation souveraine et d'une même ethnie, se rencontrent des phénomènes apparentés à l'impérialisme, à l'annexion, à l'assimilation. (Cf. Ibid., 3,5,18) » Il note encore que « lorsqu'une nation parvient à obtenir un État souverain, en même temps, dans cet État, une foule de nationalités demeurent annexées. (cf Ibid., 3,7,4) » Nous pourrions allonger la liste de ses observations sur les ethnies, mais l'exposé serait trop long. Nous nous contenterons d'indiquer la lecture des sections 5, 6 et 7 du Chapitre troisième des Normes qui porte sur « la nation indépendante et les relations de juxtapositions », sur « la nation satellite (subordination de voisinage), et sur « la nation annexée (subordination sur place) ». En outre, il serait impardonnable de ne pas mentionner la subdivision très importante (13 pages sur 64 des Normes) spécialement consacrée au Fédéralisme (cf. section 8 : « Le fédéralisme » ; section 9 : « Le partage des compétences » et section 10 : « Fédéralisme et nationalités : l'optique impérialiste ; l'optique fédéraliste ; l'optique indépendantiste ». Ces trois « optiques » sont nettement dépeintes par Maurice Séguin. Par conséquent, la question théorique devient tout à fait historique lorsqu'il cherche à comprendre la société québécoise.
- On trouve une telle tentative dans le document de Gérard Bouchard, François Rocher et Guy Rocher, Les Francophones québécois, Montréal, Conseil scolaire de l'Île de Montréal, 1987, vii + 87 p.
- Citons les notes des Normes (cf. 1,1 et 1,2) dans leurs formes originales.
- La page 46 de l'édition polycopiée des Normes (éd. Séguin, 1965-1966) est l'ultime synthèse de Maurice Séguin sur l'assimilation (cf. Les Normes, 3,11). Nous savons que de 1946 à 1966, soit pendant vingt ans, Séguin a révisé constamment ses Normes. La section qui traite de l'assimilation nous en offre une illustration. Par exemple, le plan de 1957-1958 est différent de celui de 1959-1960 et ce dernier a aussi été transformé pour donner finalement la page 46 du polycopié du cours sur Les Normes de 1965-1966 (version finale, s'il en est une... de Séguin). Tous les étudiants de Séguin connaissent la fable du jésuite, du lion et du mouton qui se rapporte à la question des relations entre les sociétés, les ethnies ou les « nations » et qui soulève la question de l'assimilation (voir Maurice Séguin, Histoire de deux nationalismes au Canada, Montréal, Guérin, 1997, p. 29-30.) Dans son cours sur Les Normes de 1959-1960, Séguin s'interroge en ces termes : « Qu'est-ce qui dans ce facteur peut aider un groupe humain ou, dans le cas contraire, l'asservir ? » « La civilisation est-elle un problème d'assimilation ? » Il introduit l'idée qu'il y aurait deux manières de sortir de l'annexion : soit par la libération politique, soit pas l'assimilation totale. Cependant, il reconnaît qu'il y aurait « des peuples coincés entre deux impossibilités : l'impossible libération, d'une part, et l'impossible assimilation, d'autre part. » Il précisait : « Pour ces peuples, il n'est pas de manière pour sortir de l'annexion, ils sont coincés. Et l'annexion représente pour eux un état d'infériorité. (Notes de cours personnelles.) » Ce questionnement est au fondement de la page 46 des Normes. Il serait important de comprendre aujourd'hui pourquoi Maurice Séguin n'a plus modifié ses Normes après 1966. À l'occasion du référendum de 1980, Maurice Séguin a cru un moment à la possible libération du peuple canadien-français.