Rond-Point Accueil > Conférences > Sackville (12 novembre 1999)
D.- Séguin et les nations dans l'histoire
La question abordée par Séguin concerne les nations même si par analogie il peut y avoir des similitudes avec les individus. C'est par conséquent le plan collectif qui sera l'objet de nos considérations même si le collectif est une somme d'individus et plus. Dans le libéralisme classique, l'individu fait la société ; dans la pensée marxienne, la société construit des individus. Finalement, les deux vont de pair.
Tout au long de sa carrière universitaire, l'historien Maurice Séguin a étudié méthodiquement les nations en s'appuyant sur toutes ses connaissances en histoire du Canada et sur l'histoire universelle. S'il nous épargne l'étalage de son savoir sur l'histoire des nations, c'est pour se concentrer uniquement sur la nation comme phénomène historique et sociologique.
De sa quête et de ses efforts acharnés à comprendre la société canadienne-française (on dit aujourd'hui québécoise), il a pu en distiller les principaux fondements dans Les Normes. Ses notes de cours constituent les prolégomènes de son travail d'historien et de son cours d'histoire du Canada. Dans le chapitre troisième des Normes intitulé " Sociologie du national ", il présente une " tentative de décrire la nation " (on notera la prudence dans le choix des mots). Cette page reflète la somme de ses connaissances et de ses réflexions sur les nations dans l'histoire. Pour lui, la question, n'est pas philosophique, elle est historique et sociologique. Il s'agit de voir comment dans l'histoire les " nations " existent, vivent, s'organisent, agissent ou meurent.
1. Importance de la " vie collective "
Une nation, c'est bien sûr une population, un groupe humain, une société qui a une " vie collective ". Cette dernière notion est importante dans la pensée de Maurice Séguin. " Brièvement définie, la "vie collective" est l'action organisée, concertée d'un groupe d'individus (groupe de tout ordre : compagnie, communauté, équipe, municipalité, province, nation, etc.) en vue d'atteindre une fin déterminée " (Les Normes, 1,1,2,4). Cette vie est marquée par un double aspect inséparable : " d'une part, la dépendance et la collaboration et, d'autre part, l'autonomie non moins nécessaire " (Les Normes, 1,1). Malgré la nécessité de " vivre avec les autres, mais par soi ", " il n'en demeure pas moins que la notion de vie en société se rapporte essentiellement à la notion d' agir (par soi) de cette société " (Les Normes, 1,1,2,7). " Ce postulat-clef de l' "agir-par-soi" collectif dans la collaboration est l'une des normes principales utilisées pour décrire l'histoire politique des deux Canadas. " (Les Normes, 1,1,2,10.)
2. L'agir (par soi) collectif
L'une des notions fondamentales des normes élaborées par Séguin porte sur cette notion d' "agir-par-soi" d'une société qui serait le fondement même d'une nation. " Pour toute société (quelle que soit sa fin), à côté de l'inévitable contact, de la collaboration nécessaire, on retrouve cette exigence fondamentale de l' "agir-par-soi" collectif, de l'action et de la réaction autonome, de la réserve collective, de la séparation (ou du "séparatisme"). " (Les Normes, 1,1,2,8.) Cela dit, peut-on savoir ce qu'est l' "agir-par-soi" collectif ?
La définition de " l' "agir-par-soi" collectif est l'action concertée et organisée d'un certain nombre d'individus amenés à se grouper en société, à former équipe, [soit]
- naturellement ou artificiellement,
- inconsciemment ou lucidement,
- volontairement ou involontairement à l'origine,
- spontanément ou par la force des choses,
- intégralement ou graduellement,
et qui trouvent la liberté et les moyens d'exécuter, par une minorité ou par la majorité ou la totalité (de ces individus) dans leurs propres cadres, sous leur direction, grâce à leur initiative, les multiples activités qui constituent la fin de cette société." (Les Normes, 1,1,2,7.)
L'idée centrale à retenir, c'est que l' "agir-par-soi" d'une société débouche sur l'action, sans quoi, il y a remplacement et inaction temporaire ou permanente.
3. L'action ou l'inaction
" L'action développe et enrichit ; l'inaction, volontaire ou imposée, appauvrit. " (Les Normes, 1,2,3,2.) La nation qui subit une privation, un remplacement de l' "agir-par-soi" collectif, perd sa capacité d'action collective et de ce fait subit une " oppression essentielle ". Cette oppression ne doit pas être confondue avec des " oppressions accidentelles " qui peuvent accompagner l'oppression essentielle.
L'inaction provoquée par l'oppression essentielle s'exerce " dès qu'une collectivité remplace, par son agir collectif, l'agir collectif d'une autre société, cette substitution ou ce remplacement total ou partiel est, ipso facto, diminution ou privation d'être, perte d'expérience, d'initiative et de possibilité d'accumuler des habitudes pour la collectivité remplacée. " (Les Normes, 1,2,3,5.)
4. Tentative de décrire la nation
[Transparent nos 2 et Transparent nos 3]
" Le terme " la nation " peut revêtir plusieurs sens :
- Un sens général.
- Un sens étatique, juridique.
- Un sens sociologique, culturel surtout.
- Un sens intégral (politique, économique, culturel).
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La nation au sens le plus général est un groupe humain qui est arrivé à se reconnaître distinct ;
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La nation au sens étatique, juridique, c'est-à-dire l'État-Nation ou l'ensemble d'individus de même origine ou de diverses origines, encadrés de gré ou de force dans un système juridique, constitutionnel, système doté de la souveraineté politique.
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La nation au sens sociologique, culturel surtout, c'est un groupe distinct et différent qui semble s'être formé spontanément. Généralement, on insiste sur l'unité (et la valeur) de la culture distincte et différente de la communauté et l'on paraît moins s'intéresser à l'organisation politique.
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La nation au sens intégral fait que l'agir (par soi) collectif est possible dans tous les aspects. Cet " agir " peut s'étendre à tous les domaines - à l'intérieur comme à l'extérieur de la nation. Cet agir (par soi) collectif possible est aussi nécessaire dans tous les aspects.
" Les conséquences pratiques dérivant de ces principes fondamentaux signifient pour une " nation " au sens intégral que :
- la maîtrise de l'agir collectif l'emporte en valeur sur la manière d'agir [...] ;
- le plus important est ce qui est semblable [...] ;
- le caractère pour une nation d'être distincte est préalable au fait d'être différente [...] ; - " Il faut exister séparément d'abord (avant d'avoir une personnalité collective). " - La manière d'être sort de l'existence. (Les Normes, 3,2,4,b) "
5. Essai de classification des nations
Pour les nations, il existe toute une gamme (très nuancée en réalité) dans la situation des ethnies. Si l'on voulait en faire l'inventaire, on passerait par la grande Nation forte, impérialiste, dominant un bloc... à la moyenne puissance, à la petite nation réussie..., pour aboutir aux cas d'échec plus ou moins considérables.
De manière à simplifier, on peut constater quelques situations types :
- La nation indépendante ;
- La nation satellite ;
- La nation annexée ;
- L'ex-nation assimilée. (Les Normes, 3,4.)
La nation indépendante c'est la nation (au sens sociologique) qui maîtrise comme majorité un État souverain (Les Normes, 3,5,1). Il est cependant exceptionnel de parvenir à cette souveraineté politique... (Les Normes, 3,5,2).