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Les nations et le nationalisme dans l'histoire
d'après l'historien Maurice Séguin
Bruno Deshaies
Sackville, Mount Allison University
12 novembre 1999
« La nationalité minoritaire « bien » annexée, « bien » fédérée dans une union fédérale qui lui permet au moins un État provincial, vit de sa propre vie limitée en politique, en économique, au culturel et s'appuie (en parasite - avec les inconvénients et les avantages...) sur la vie politique, économique et culturelle de la nation majoritaire fédérante. » (Maurice Séguin, Les Normes, p. 183 ou Les Normes, 3, 10, 1, 2- c)
Les nations et le nationalisme ne sont pas que des objets d'études pour les philosophes ou pour les spécialistes de sciences politiques, ils sont des matériaux de l'histoire dont il faut tenir compte. Les nations naissent, vivent, évoluent et meurent dans l'histoire comme les langues vivantes d'hier deviennent des langues mortes. Le nationalisme, lui, ne meurt pas, tout comme la langue qui prend des formes nouvelles. Par contre, la disparition des nations ou l'assimilation des ethnies n'a pas mis fin au nationalisme. Le phénomène est constant. Maurice Séguin juge que « le nationalisme s'apparente à un phénomène « naturel », à cette tendance générale de toute société, de tout groupement (communauté, compagnie, équipe, etc.) de maîtriser et de réussir sa vie collective selon sa fin propre. » (Les Normes, 3,2,4 - c) 1.)
D'entrée de jeu, nous jugeons donc important d'affirmer que les nations et le nationalisme sont des phénomènes historiques. Il ne suffit pas de faire des catégories sociologiques ou des cas-types de nations ou du nationalisme pour épuiser toute la richesse et toute la diversité des comportements collectifs des nations. Le plus important est de voir dans quelle mesure une situation donnée peut être conditionnée par les forces de convergences du passé, par l'action portant sur les convergences actives créant une situation actuelle et par l'annonce de nouvelles convergences préparant une situation en devenir. En termes concrets, cela signifie qu'au Québec il est impossible pour les Québécois d'ignorer l'histoire ou de se fabriquer une mémoire du passé qui ne collerait pas à la réalité. Cela signifie aussi qu'il n'est pas possible d'ignorer la présence du Canada Anglais qui influe sur l'avenir du Québec Français. Cela signifie encore que le Québec doit être réaliste au sujet de l'option politique qu'il privilégierait. En revanche, le destin du Québec ne se résume pas exclusivement à son passé et à son présent ; une nation, comme un individu, peut lancer des défis à l'histoire.
Dans la section des Normes consacrée au « fédéralisme et nationalités », Maurice Séguin aborde les deux thèses principales qui se heurtent : la « foi » indépendantiste et la « foi » fédéraliste. Il signale, non sans manifester un certain doute, qu'il « essaiera de rendre justice (?) aux deux ! » (Les Normes, 3, 10, 0.) Toutefois, il ne peut pas ignorer que « même si la nation minoritaire est « justement » représentée (en minorité) et prend sa « juste » part (en minorité) de l'activité Centrale et qu'elle bénéficie de l'organisation, de la prospérité, de la défense, etc., du Central, elle n'en demeure pas moins une nation minoritaire annexée qui dans les domaines réservés au Central n'agit pas collectivement et majoritairement par elle-même. » (Les Normes, 3,10,1,1 - j.) N'est-ce pas le noeud gordien des débats entre les nations au Canada ?
À partir de cet arrière-plan, il s'agira avant tout de comprendre l'homme et l'historien Séguin par rapport aux nations et au nationalisme dans l'histoire. Il sera question, par ailleurs, de la nation québécoise et des enjeux majeurs qu'elle pose à la société québécoise. Malheureusement, la confusion des idées entourant le débat actuel sur la nation québécoise rend difficile la compréhension du nationalisme québécois. En conséquence, il semble préférable de recourir aux Normes et à l'Histoire de deux nationalismes au Canada de Maurice Séguin afin de mieux saisir les difficultés que vivent à la fois le Québec et le Canada.
A.- Séguin : quelques notes biographiques
L'historien Maurice Séguin est né, en 1918, à Horse Creek (à proximité de Meyronne), dans le sud-ouest de la Saskatchewan ; il est décédé à Montréal, en 1984. Après l'expérience de colonisation de la Saskatchewan, les parents de Maurice décident de revenir, en 1921, dans l'est de Montréal, soit dans la paroisse ouvrière de Saint-Vincent-de-Paul.
À cause de sa santé fragile, il ne débute ses études primaires qu'en septembre 1926. Vers l'âge de douze ans, Maurice commence à comprendre la dimension économique du problème national des Canadiens-Français. Très tôt dans sa vie, le jeune Séguin s'est intéressé au cas de la société canadienne-française. Il a été surtout marqué par cette question de sa mère : " Pourquoi appeler ça l'Ouest canadien puisque tout y est en anglais ? " De plus, Maurice est intrigué par des noms de commerce comme Living Room Furniture Company Limited dans un quartier francophone à près de 100% et dont la clientèle, au surplus, est francophone.
Il fait des études classiques, puis il s'inscrit à l'Université de Montréal pour une licence ès lettres-grammaire, en 1942. À l'automne 1944, il s'oriente vers le doctorat ès lettres, option histoire.
Bien sûr, il a été l'élève du chanoine Lionel Groulx et de Guy Frégault. Il a soutenu sa thèse de doctorat en présence de Groulx, de Frégault et de Jean-Pierre Houle. Sa thèse est passée à deux cheveux d'être refusée.
Après le départ pour la retraite du chanoine Lionel Groulx, Maurice Séguin lui succède au Département d'histoire comme professeur du Régime britannique.
On peut dire que toute sa vie, Séguin s'est préoccupé du problème des nations et du nationalisme. Dans sa thèse de doctorat, il n'a pas pu se limiter à la question économique ; il a débordé le sujet pour évaluer la situation et le sort des Canadiens français au sein du Canada.
Après cette première recherche, l'historien Séguin n'a eu de cesse de dépouiller les journaux du Canada français, Le Devoir, en particulier, qu'il scrutait à la loupe, à chaque jour, sans compter la lecture des Documents constitutionnels de Shortt et Doughty, les Débats sur la Confédération, le journal Le Canadien, L'Avenir et autres journaux de l'époque. De ses recherches sur Étienne Parent et sa lecture et relecture constante du Rapport Durham, sa connaissance d'Errol Bouchette et de ses prédécesseurs historiens (Garneau, Chapais, Groulx, Creighton, Innis, Rumilly et d'autres encore), il a pu ainsi se familiariser systématiquement sur le sort d'un peuple conquis qui a survécu à la Conquête et qui a dû cohabiter, tant bien que mal, avec l'occupant Anglais. Ce qui l'a conduit à fouiller et à réfléchir toute sa vie sur ce qu'il aimait appeler l'« histoire des deux Canadas ».