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Un Combat inachevé

PINARD, Maurice, BERNIER, Robert et Vincent LEMIEUX, Un Combat inachevé, Sainte-Foy, Presses universitaires du Québec, 1997, xvi + 368 p. ISBN 2-7605-0893-5

Compte rendu du Rond-Point des sciences humaines par Bruno Deshaies, Québec.


Québec, 15 août 1999

« Qu'en est-il exactement de l'attitude des citoyens et des citoyennes du Québec sur leur destinée ? » Cette question apparaît sur la page 4 de la couverture du livre. Interrogation ambitieuse ; il est urgent de trouver des réponses ou une réponse. Les enjeux pour l'État-Nation québécois ne font aucun doute.

Un combat inachevé est le fruit du travail de trois spécialistes expérimentés dans les sondages d'opinions. Ce livre se classe parmi les recueils de textes. Dans le cas présent, il s'agit d'articles publiés, à des dates différentes, par l'un ou l'autre des auteurs ; les auteurs ont retenu exclusivement leurs articles sur les sondages entourant le projet de souveraineté du Québec et les référendums ; ces textes couvrent les années 1992 à 1997. Le chapitre 1, consacré aux partis politiques et à la souveraineté, a été composé par Vincent Lemieux. Les chapitres 6 à 10 sont consacrés au référendum de 1995, tandis que les chapitres 2, 3 et 4 on été rédigés par Maurice Pinard : l'un traite des « quatre phases du mouvement indépendantiste québécois », l'autre, de « l'émergence du mouvement indépendantiste » ; le dernier analyse « les fluctuations du mouvement indépendantiste depuis 1980 ». Roger Bernier a été « l'instigateur et le coordonnateur » du travail ; il a assumé la rédaction du chapitre 5 (« Le consommateur politique québécois au printemps de 1994 »). En outre, le recueil contient beaucoup de matériel de sondages (par ex., des questionnaires, des canevas de discussion, des tableaux statistiques, des graphiques montrant l'évolution des tendances politiques, puis une bibliographie) couvrant principalement les années 1990 avec des rappels sur des sondages antérieurs afin d'offrir un éclairage sur une plus longue durée.

En 35 ans, au Québec, il y a eu 128 sondages depuis 1962

En 35 ans, au Québec, il y a eu 128 sondages depuis 1962 (cf. Pinard et al., p. 47) ; ce résultat donne une moyenne 4 sondages par année, dont quelques pics, comme en 1979, avec 10 sondages, 13 entre février et mars 1980 et 28 autres pour la seule année 1994 ; par contre aucun sondage en 1986 et 1987 (cf. Ibid., p. 44 et 47). Que nous apprennent tous ces sondages ? Par exemple, cette donnée d'entrevue : « Accord ou désaccord avec la question suivante : « Les Canadiens anglais ont souvent tendance à considérer les Canadiens français comme inférieurs à eux ? » Entre mai 1980 et février 1996, les résultats des sondages à une pareille question ont donné en tant que « total d'accord », les proportions suivantes : 54, 64, 50, 56, 55 et 61 pour cent (Ibid., p. 325). Au sujet des résultats du dernier référendum au Québec, Maurice Pinard conclut « qu'un très haut niveau de griefs traditionnels de toutes sortes prévalait depuis longtemps chez les francophones du Québec et que ce niveau n'avait pas beaucoup changé au cours des années » (Ibid., p. 353).

Tout cela est fort intéressant mais soulève quelques problèmes éthiques. L'action politique qui repose sur l'usage abusif des sondages s'enferme dans un discours étranger aux réalités sociologiques profondes du monde. Cette technique scientifique d'enquête a ses limites. Les résultats obtenus ne peuvent être pris à titre de conclusions expérimentales ! Le monde des perceptions est celui où chaque individu projette son regard sur la réalité sans toujours contrôler son propre regard. Bien évidemment, s'il fallait dans la vie courante passer son temps à se réévaluer constamment, ce serait se condamner à vivre dangereusement. En revanche, ne pas soumettre ses impulsions, ses fantasmes, ses préjugés, les idées reçues et le reste, ce serait se condamner à l'aveuglement comme sont toutes les idéologies (cf. la remarque d'Edgar Morin sur « la cause profonde d'erreur » ) La réalité du monde est toujours plus complexe, imprévisible et surprenante que celle qu'on voudrait imaginer.

Des remarques méthodologiques de cette nature, des précisions plus structurées sur le matériel d'enquête avec des indications plus claires quant aux sources et une chronologie des événements politiques au cours des années 1962 à 1995 auraient certainement été grandement appréciés par les lectrices et lecteurs, spécialistes ou non. Il nous semble qu'il y a là une lacune à la compréhension des événements et des conditions fluctuantes de l'opinion publique. Si l'analyse des sondages en tant que telle devait être faite, elle aurait pu l'être beaucoup mieux encore si l'idée d'un combat inachevé, que les fédéralistes - aveuglés par leur idéologie - aimeraient mieux voir achevé, avait donné lieu à un rapprochement plus clair avec l'histoire du Québec. Sans contredit, les chapitres 1 et 2, rédigés en 1997,1992 et 1994, fournissent un éclairage général sur l'histoire du mouvement indépendantiste. Le chapitre 3, de son côté, présente « des perspectives comparatistes » de « l'émergence du mouvement indépendantiste ». L'approche comparatiste de Maurice Pinard est nettement sociologique. Il s'agirait de trois articles, déjà publiés en anglais, dans Opinion Canada, Journal of International Affairs et McGill Working Papers on Social Behaviour. Les perspectives comparatistes mériteraient à elles seules un compte rendu séparé. Le Rond-Point des sciences humaines reviendra un peu plus tard sur cette question des études comparatives.

Le mérite général de cet ouvrage réside dans le fait que les « faiseux » d'histoire ... peuvent réviser leurs positions, car ils sont plutôt inspirés par la pensée magique.

Le mérite général de cet ouvrage écrit par un sociologue, un politicologue et un spécialiste de marketing gouvernemental et politique réside dans le fait que les « faiseux » d'histoire qui discutent de l'avenir du Québec, comme on discutait du sexe des anges au Moyen Âge, peuvent réviser leurs positions, car ils sont plutôt inspirés par la pensée magique. Bien à eux de croire à leurs rêves mais, nous ne le répéterons jamais assez, en sciences comme dans les sciences humaines, il importe de « penser en présence des faits ». Sur ce point, les trois auteurs de cet ouvrage ont cherché à comprendre, dans la durée des sondages, l'évolution de la pensée des citoyennes et citoyens du Québec. Par ce biais, ils ont rendu service à la collectivité même si le livre est ardu à lire.

Une dernière remarque. Nous avons quelques réticences à accepter d'emblée cette idée de Vincent Lemieux à l'effet que « l'idée de souveraineté découle du nationalisme québécois, qui en vient à succéder au nationalisme canadien-français, mais elle n'aurait sans doute pas pu émerger sans la construction d'un État qui lui a donné une dimension politique. (p. 5) » Monsieur Lemieux associe la naissance de l'idée de souveraineté à la construction de l'État québécois, soit avec le début de la « révolution tranquille », ce qui ne nous semble pas correspondre à l'histoire globale des Canadiens Français depuis la conquête. L'idée d'être maître chez-nous est très vieille. Elle a fait l'objet de nombreuses transactions complexes de 1760 à 1840, puis de 1840 à 1867 et, ensuite, depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, entre le Canada Anglais et le Québec Français.* Cette idée a repris avec le RIN et la naissance du PQ et son élection en 1976. Le combat continue... tel qu'en son commencement.

(*) Voir Maurice Séguin, Histoire de deux nationalismes au Canada, Montréal, Guérin, 1997, p.414 à 431 (« Le Canada-Français face au Canada [1867 à 1960] »).

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