Le nouvel esprit de la politique coloniale britannique

PRÉSENTATION

La Grande-Bretagne est en pleine révolution industrielle et ce n'est pas une raison pour qu'elle abandonne l’empire, c’est-à-dire ses colonies. Dans son discours au sujet de la crise entre les deux Canadas, Huskisson mentionne la loyauté des sujets britanniques, la nécessité de garder une colonie [par ex.: la Louisiane]. Il envisage l’évolution graduelle des colonies dans la perspective de « Free nations » ; il considère qu'il n'est pas inutile d’envoyer le surplus d’une population pour former une nouvelle nation « anglo-saxonne ». Il croit en la nécessité de guider les colonies. Il voit l’Angleterre et les colonies comme une grande famille. Il est en quelque sorte un impérialiste exalté. Bref, il est un libéral avancé au milieu d’un gouvernement tory.

Au moment où William Huskisson prononce ce discours concernant les affaires canadiennes, le gouvernement tory dont il fait partie perdra le pouvoir aux mains des Whigs. Il dresse quand même un plaidoyer très favorable au maintien de l’empire. Ce discours se situe dans le contexte de la création du comité spécial de la Chambre des communes pour faire rapport sur la question canadienne et la problématique de la crise politique.(@) Ce sera le début de la nouvelle direction de la formation du Second Empire britannique après le traité de Paris en 1783 qui a consacré l’indépendance des États-Unis d’Amérique.

31 janvier 2008

DOCUMENT

DISCOURS D’HUSKISSON SUR L’AFFAIRE DU CANADA (*)
(1828)

Avant de m’asseoir, qu’on me permette seulement d’ajouter un mot ou deux touchant une thèse qu’on a insinuée dans cette Chambre et discutée ailleurs.

Je fais allusion à ce qui s’est dit quant à la politique de se dessaisir entièrement de la colonie. Ceux qui pensent qu’il serait prudent de le faire pourront dire que nous devrions nous éviter la peine et les efforts d’améliorer l’état des provinces en prenant le meilleur et le plus sage parti de s’en défaire totalement.

Que ceux qui raisonnent de la sorte tiennent compte qu’il s’agit de nos compatriotes nés comme nous dans l’allégeance du roi, accomplissant tous les devoirs de sujets, voulant le demeurer et accomplir toutes les obligations que requiert leur allégeance à la Couronne.

Je dis que tant qu’il en sera ainsi ils auront à juste titre le droit de nous réclamer cette protection dont les auront rendus si dignes leur fidélité et leur bonne conduite.

D’un tel sujet, je ne débattrai point – l’importance pour la Grande-Bretagne de ces provinces des points de vue naval, commercial et politique est toutefois très facile à soutenir –, mais avant même qu’ils se hasardent à se permettre une allusion à une conclusion semblable à celle que je viens d’évoquer j’adjure ces honorables messieurs de réfléchir à l’honneur politique de ce pays et à l’impression morale que produirait sur toutes les nations un pareil abandon que rien n’impose et qu’on ne nous aura jamais demandé.

Renoncerons-nous sans défi à une telle colonie ?

Ou bien en ferons-nous – comme on l’a fait d’une autre partie de l’Amérique ayant appartenu elle aussi à la France, je veux dire la Louisiane – une question de livres, de shillings et de pence ?

La vendrons-nous à une autre puissance ? L’Angleterre n’est pas tombée si bas. Nous sommes unis au Canada par les ressouvenirs de courage honorable, tant naval que militaire. C’est un trophée trop glorieux pour s’en dessaisir de l’une ou de l’autre façon que j’ai évoquée. Nous ne pouvons que conserver le Canada par tous les moyens à notre disposition ; si nous ne voulons ternir notre honneur, nous sommes tenus d’accorder jusqu’au bout notre protection au Canada. Cela, par conséquent, n’est pas une opinion qu’en cette matière nous puissions considérer, ne fût-ce qu’un instant.

C’est en outre un pays où, ne l’oublions pas, l’on ne rencontre aucune de ces fâcheuses distinctions sévissant en certaines de nos autres colonies – aucune division en castes, aucun esclavage – le peuple y est presque, si je puis dire, comme une famille unie à ce pays-ci par les liens les plus intimes.

L’Angleterre a enfanté plusieurs colonies, l’une desquelles forme l’un des plus grands et des plus prospères empires au monde ; par elle et par d’autres, nous avons projeté jusqu’aux endroits les plus reculés du globe notre langue, nos libres institutions et notre système juridique. Ce que nous avons planté de la sorte prend maintenant racine et ce qu’aujourd’hui nous nourrissons comme autant de colonies seront sans doute un jour ou l’autre elles-mêmes des nations indépendantes communiquant la liberté aux autres pays.

Si l’on me dit que, pour ce faire, nous avons consenti à de grands sacrifices, je répondrai : ainsi soit-il car, malgré ces sacrifices, l’Angleterre demeure encore, en raison de cette extension, la plus puissante, la plus heureuse des nations qui existent ou n’aient jamais existé. Je dis en outre que nous serions bien rémunérés pour tous les sacrifices à venir, que d’avoir donné naissance à des pays où l’on jouira, encore longtemps j’espère, du même bonheur et de la même prospérité que ceux qui ont marqué ce pays.

Cela sera notre récompense pour avoir établi notre excédent de population non seulement en Amérique, mais en d’autres régions du monde.

Quel plus fort sentiment de fierté pour un Anglais que de sentir que l’Angleterre, envers le monde, a fait son devoir en tentant avec succès de l’améliorer ? Que le Canada demeure à jamais une dépendance de l’Angleterre ou qu’il devienne un État indépendant – non par une séparation hostile, mais, je l’espère, par un arrangement à l'amiable – il reste du devoir et de l’intérêt de ce pays-ci de l’imprégner de sentiments britanniques et de le doter de lois et d’institutions anglaises.

(*) KENNEDY, W. P. M., Statutes, Treaties and Documents of the Canadian Constitution 1713-1929, Oxford University Press, 1930, pages 253-254. ICI : http://www.canadiana.org/ECO/PageView?id=a537d87d5f15b21a&display=9_03428+0281

Notice biographique

HUSKISSON, William (11 mars 1770 - 15 septembre 1830), devient secrétaire particulier de l’ambassadeur britannique en France ; revient en Angleterre en 1792 et se fait élire pour le parti Tory en 1796 ; prononce son premier discours à la Chambre des communes en 1798 ; Pitt le nomme secrétaire au Trésor en 1804 ; publie en mai 1810 un pamphlet intitulé Depreciation of the Currency ; redevient député en 1812 dans un comté du Sussex ; Lord Liverpool le nomme Président du Board of Trade dans son Cabinet en 1822 ; élu membre du Parlement dans Liverpool en 1823 ; accepte de présenter des mesures de réformes des Corn Laws en1826, mais sans succès ; défendra des mesures de libéralisation du commerce ; refuse d’entrer dans le cabinet du Duc de Wellington en 1828 ; maintient sa position en tant que Tory libéral ; est frappé par une locomotive à l’ouverture de la voie ferrée du Northumbrian le 15 septembre 1830.


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(@) « Report of the select committee on the state of the civil government of Canada » (22 juillet 1828).
Référence : KENNEDY, W. P. M., éd., Statutes, Treaties and Documents of the Canadian Constitution, 1713-1929, 2e éd., revue et augmentée, Toronto, Oxford University Press, 1930, pages 254-259. ICI : http://www.canadiana.org/ECO/PageView?id=239307333eaa368a&display=9_03428+0283

« Rapport du comité de la Chambre des communes, 1828. » Dans Arthur G. Doughty et Norah Story, éds, Documents relatifs à l’histoire constitutionnelle du Canada 1819-1828, Ottawa, J. O. Patenaude, 1935, pages 463-474. ICI : http://www.canadiana.org/ECO/PageView?id=23d0e67e833ee5fc&display=9_03426+0475
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